978-2-84809-211-9
140 pages
15 x 20 cm
16 €
140 pages
15 x 20 cm
16 €
Le Carnet du Vermont
John Ashbery & Joe Brainard
Traduction de l’anglais (États-Unis) et postface d’Olivier Brossard
John Ashbery & Joe Brainard
Traduction de l’anglais (États-Unis) et postface d’Olivier Brossard
Ne passez plus à côté de votre époque ! Le Carnet du Vermont est l’indispensable bréviaire de l’homme (et de la femme) post-moderne, que vous décidiez de faire une virée dans le Golfe du Mexique ou bien de passer de la cuisine au salon. Véritable guide du roublard (chapitre Nouvelle Angleterre, section « trajets en autocar »), puzzle banlieue américaine 1 000 pièces, bottin mondain, pamphlet politique à emporter, traité d’écologie format poche, eschatologie scatologique, journal intime (du sexe aussi), petit cours de correspondance et même chanson à pousser, Le Carnet du Vermont a toutes les questions à toutes vos réponses. Méthode révolutionnaire d’apprentissage du zapping, ce texte de John Ashbery accompagné des dessins de Joe Brainard profitera aux plus petits comme aux plus grands.
Né en 1927, associé à « l’école de New York des poètes », John Ashbery est l’un des plus grands écrivains américains. Son œuvre considérable a reçu de nombreuses distinctions, notamment Autoportrait dans un miroir convexe (1975, publié en France en 2004 dans une traduction d’Anne Talvaz, Atelier la Feugraie).
Joe Brainard (1942-1994), peintre et artiste prolifique, a collaboré avec de nombreux poètes et écrivains de New York, où il a vécu dès les années soixante. Parfois considéré comme un précurseur du pop art, il est aussi connu pour ses écrits dont, notamment, I Remember, Je me souviens (traduit en français par Marie Chaix, Actes Sud, 1997).
Dessin de couverture © The Estate of Joe Brainard
Né en 1927, associé à « l’école de New York des poètes », John Ashbery est l’un des plus grands écrivains américains. Son œuvre considérable a reçu de nombreuses distinctions, notamment Autoportrait dans un miroir convexe (1975, publié en France en 2004 dans une traduction d’Anne Talvaz, Atelier la Feugraie).
Joe Brainard (1942-1994), peintre et artiste prolifique, a collaboré avec de nombreux poètes et écrivains de New York, où il a vécu dès les années soixante. Parfois considéré comme un précurseur du pop art, il est aussi connu pour ses écrits dont, notamment, I Remember, Je me souviens (traduit en français par Marie Chaix, Actes Sud, 1997).
Dessin de couverture © The Estate of Joe Brainard
John Ashbery et le « chant du déchet » par Jean-Claude Pinson
Revue Place Publique
Dessin en noir et blanc sur la page de gauche, texte en prose (et rarement en vers) sur la page de droite, c’est un livre de poésie très singulier que publient les éditions Joca Seria dans la Collection américaine. Un livre non pas exactement écrit à deux, mais plutôt tracé, inscrit, à deux mains, dont l’une dessine des vignettes dans le style pop’art, y dépose des amorces de récits, tandis que l’autre dispose des rectangles de lettres où vient se déverser, sous forme de listes de mots et blocs de prose hybrides, « l’infini vide-ordures du présent ».
Né en 1927, associé à l’École de New York, John Ashbery, l’auteur du texte, est une des voix majeures de la poésie américaine. Il a notamment obtenu le prestigieux prix Pulitzer pour un livre intitulé Autoportrait dans un miroir convexe, livre paru en en 1975, la même année que ce Carnet du Vermont. Joe Brainard (1942-1994), le dessinateur, était lui à la fois un plasticien aux talents multiples et un écrivain (on lui doit en particulier un livre intitulé I Remember, dont Georges Perec retiendra le principe dans son fameux Je me souviens).
Déroutant, le livre l’est d’abord par le rapport inhabituel qu’entretiennent les images et le texte. Car il ne s’agit nullement pour le dessinateur d’illustrer (et encore moins d’enluminer) le propos du poète. Le rapport est de disjonction, mais en même temps de congruence, de souterraine correspondance. Car c’est bien une même matière américaine qui trouve à se dire par le dessin autant que le poème. « Entre les images et le texte, remarque Olivier Brossard dans une postface aussi riche qu’éclairante, c’est une troisième dimension qui naît ». En somme, un livre queer, « transgenre », dès sa forme.
Déroutant est d’emblée le titre. Il semble inviter le lecteur à un récit de voyage en contrée agreste (le Vermont, comme son nom le suggère, est couvert à près de 80 % de forêts), mais c’est à travers des paysages urbains et suburbains de la Nouvelle Angleterre qu’il se voit véhiculé, embarqué à bord d’un bus aussi improbable que le trajet.
Une vingtaine d’années avant la parution du livre d’Ashbery et Brainard, un célèbre critique américain, Paul de Man, pouvait encore professer qu’une « convention pastorale » est au fondement du rapport entre le poète et la Nature (ou l’Être) et qu’en conséquence « le thème pastoral est le seul thème poétique – est la poésie même ». Rien de tel à première vue dans ce Carnet du Vermont. Au lieu de campagne enchanteresse, c’est un tout autre paysage qui se déploie. Scandé au loin, en « une majestueuse gavotte », par les néons et les noms du commerce (« MacDonald’s, Carrol’s, Arthur Treacher, Colonel Sanders et Dunkin’Donuts »), c’est celui d’une nature dénaturée, où, plus près, « tout est déjà décombres et confusion », avec « laiteries dont la peinture s’écaille » et « longues Chryslers 66 d’un bleu verdâtre ». Mais nulle mélancolie post-romantique. De ce paysage hybride sourdent aussi bien un « sentiment de tristesse et de désespoir » qu’un « sentiment jubilatoire et enivrant de liberté ». L’élégie pastorale et la « gavotte » urbaine cohabitent et se pacsent. Parce que la ville est désormais partout, la convention pastorale se mue en pacte urbain.
« L’Amérique est un chouette pays », écrit Ashbery, en un vers devenu fameux. Si le propos est évidemment ironique, il introduit toutefois à un regard nuancé, sans sarcasme, sur l’every man américain et sa vie ordinaire, comme en témoignent les lignes qui suivent : « En fait, écrit l’auteur, plus un citoyen américain vieillit, plus il ou elle semble s’éclater dans la vie. Voyez tous les villages de retraités et les gens qui tondent leur pelouse et qui jouent au golf. Ils ont sans doute plus la pêche que leurs camarades d’Asie ou d’Europe, et l’on ferait bien d’y réfléchir à deux fois avant de railler de telles activités. »
« Plainville » pourrait être un toponyme générique (comme on a par chez nous des bourgs appelés « La Plaine » – éventuellement « sur Mer ») pour désigner la platitude du paysage. Car on est loin des monts verdoyants du Vermont. À Plainville, comme il se doit, « bien sûr tout est plat et c’est sur une plaine, mais il y a d’autres aspects à sa platitude, il y a un “Salon pour Caniches” où même les schnauzers sont acceptés, comme tous les chiens qui ne sont pas complètement fous si je ne m’abuse. »
Mais il n’y a pas que des chiens de troupeau (ce qu’était à l’origine le schnauzer) dans le paysage du « chouette pays ». Il y a aussi des humains et parfois même des hommes qui sont presque des « fées », tel ce « lascif garçon de courses qui est peut-être le dieu Pan déguisé. » « Fées » doit ici être mis entre guillemets parce que l’auteur joue sur l’ambivalence d’un mot (« fairy » en anglais) qui signifie aussi en argot « tapette ». « Gâtée », dévaluée, abîmée du fait des préjugés, considérée par l’opinion courante comme déchéance et déchet (puisque ne menant pas à la reproduction), l’existence des homosexuels est aussi, dans l’ordinaire de son cours, expérience heureuse, « vivante et ruisselante de lumière ». Comme telle, elle appelle un chant. Non pas un hymne emphatique de fierté démonstrative, mais une chanson grinçante, comme ce poème intitulé « La chanson des fées », où l’ironie et l’autodérision l’emportent (« Parfois l’une d’entre nous part avec les poubelles »).
Le thème pastoral est en poésie inséparable de celui de l’amour et du désir. Sous le déguisement du dieu Pan, c’est ce chant du désir qu’on continue d’entendre au fil des pages de ce Carnet du Vermont. Très éloignée en apparence de l’horizon romantique et de la « merde symbolique » dont « Dame Nature » est l’occasion, la poésie de John Ashbery reconduit pourtant, sous une forme certes très neuve, le vieux thème immémorial et le pacte implicite dont il procède.
Il est frappant de ce point de vue de constater comment celui-ci peut refaire surface dans les dernières pages de l’ouvrage. Évoquant un voyage en Floride, l’auteur note en effet, à propos d’une visite à la Station d’écologie marine de l’île de Marco, que l’endroit offre « l’exemple même d’une nouvelle communauté respectueuse de l’environnement naturel. » Quasi documentaire, le style du récit de cette visite est parfaitement neutre, littéral, dépourvu de toute enflure métaphorique. Néanmoins, c’est bien quelque chose comme un écho du très ancien pacte pastoral du poète avec la Nature qui trouve encore, sous cette forme économe, « écologique » et en un sens prophétique (nous sommes en 1975 !), à se dire. n
J.-C. P.
John Ashbery & Joe Brainard, Le carnet du Vermont, traduction et postface d’Olivier Brossard, éditions Joca Seria, 142 pages, 16 €.
Revue Place Publique
Dessin en noir et blanc sur la page de gauche, texte en prose (et rarement en vers) sur la page de droite, c’est un livre de poésie très singulier que publient les éditions Joca Seria dans la Collection américaine. Un livre non pas exactement écrit à deux, mais plutôt tracé, inscrit, à deux mains, dont l’une dessine des vignettes dans le style pop’art, y dépose des amorces de récits, tandis que l’autre dispose des rectangles de lettres où vient se déverser, sous forme de listes de mots et blocs de prose hybrides, « l’infini vide-ordures du présent ».
Né en 1927, associé à l’École de New York, John Ashbery, l’auteur du texte, est une des voix majeures de la poésie américaine. Il a notamment obtenu le prestigieux prix Pulitzer pour un livre intitulé Autoportrait dans un miroir convexe, livre paru en en 1975, la même année que ce Carnet du Vermont. Joe Brainard (1942-1994), le dessinateur, était lui à la fois un plasticien aux talents multiples et un écrivain (on lui doit en particulier un livre intitulé I Remember, dont Georges Perec retiendra le principe dans son fameux Je me souviens).
Déroutant, le livre l’est d’abord par le rapport inhabituel qu’entretiennent les images et le texte. Car il ne s’agit nullement pour le dessinateur d’illustrer (et encore moins d’enluminer) le propos du poète. Le rapport est de disjonction, mais en même temps de congruence, de souterraine correspondance. Car c’est bien une même matière américaine qui trouve à se dire par le dessin autant que le poème. « Entre les images et le texte, remarque Olivier Brossard dans une postface aussi riche qu’éclairante, c’est une troisième dimension qui naît ». En somme, un livre queer, « transgenre », dès sa forme.
Déroutant est d’emblée le titre. Il semble inviter le lecteur à un récit de voyage en contrée agreste (le Vermont, comme son nom le suggère, est couvert à près de 80 % de forêts), mais c’est à travers des paysages urbains et suburbains de la Nouvelle Angleterre qu’il se voit véhiculé, embarqué à bord d’un bus aussi improbable que le trajet.
Une vingtaine d’années avant la parution du livre d’Ashbery et Brainard, un célèbre critique américain, Paul de Man, pouvait encore professer qu’une « convention pastorale » est au fondement du rapport entre le poète et la Nature (ou l’Être) et qu’en conséquence « le thème pastoral est le seul thème poétique – est la poésie même ». Rien de tel à première vue dans ce Carnet du Vermont. Au lieu de campagne enchanteresse, c’est un tout autre paysage qui se déploie. Scandé au loin, en « une majestueuse gavotte », par les néons et les noms du commerce (« MacDonald’s, Carrol’s, Arthur Treacher, Colonel Sanders et Dunkin’Donuts »), c’est celui d’une nature dénaturée, où, plus près, « tout est déjà décombres et confusion », avec « laiteries dont la peinture s’écaille » et « longues Chryslers 66 d’un bleu verdâtre ». Mais nulle mélancolie post-romantique. De ce paysage hybride sourdent aussi bien un « sentiment de tristesse et de désespoir » qu’un « sentiment jubilatoire et enivrant de liberté ». L’élégie pastorale et la « gavotte » urbaine cohabitent et se pacsent. Parce que la ville est désormais partout, la convention pastorale se mue en pacte urbain.
« L’Amérique est un chouette pays », écrit Ashbery, en un vers devenu fameux. Si le propos est évidemment ironique, il introduit toutefois à un regard nuancé, sans sarcasme, sur l’every man américain et sa vie ordinaire, comme en témoignent les lignes qui suivent : « En fait, écrit l’auteur, plus un citoyen américain vieillit, plus il ou elle semble s’éclater dans la vie. Voyez tous les villages de retraités et les gens qui tondent leur pelouse et qui jouent au golf. Ils ont sans doute plus la pêche que leurs camarades d’Asie ou d’Europe, et l’on ferait bien d’y réfléchir à deux fois avant de railler de telles activités. »
« Plainville » pourrait être un toponyme générique (comme on a par chez nous des bourgs appelés « La Plaine » – éventuellement « sur Mer ») pour désigner la platitude du paysage. Car on est loin des monts verdoyants du Vermont. À Plainville, comme il se doit, « bien sûr tout est plat et c’est sur une plaine, mais il y a d’autres aspects à sa platitude, il y a un “Salon pour Caniches” où même les schnauzers sont acceptés, comme tous les chiens qui ne sont pas complètement fous si je ne m’abuse. »
Mais il n’y a pas que des chiens de troupeau (ce qu’était à l’origine le schnauzer) dans le paysage du « chouette pays ». Il y a aussi des humains et parfois même des hommes qui sont presque des « fées », tel ce « lascif garçon de courses qui est peut-être le dieu Pan déguisé. » « Fées » doit ici être mis entre guillemets parce que l’auteur joue sur l’ambivalence d’un mot (« fairy » en anglais) qui signifie aussi en argot « tapette ». « Gâtée », dévaluée, abîmée du fait des préjugés, considérée par l’opinion courante comme déchéance et déchet (puisque ne menant pas à la reproduction), l’existence des homosexuels est aussi, dans l’ordinaire de son cours, expérience heureuse, « vivante et ruisselante de lumière ». Comme telle, elle appelle un chant. Non pas un hymne emphatique de fierté démonstrative, mais une chanson grinçante, comme ce poème intitulé « La chanson des fées », où l’ironie et l’autodérision l’emportent (« Parfois l’une d’entre nous part avec les poubelles »).
Le thème pastoral est en poésie inséparable de celui de l’amour et du désir. Sous le déguisement du dieu Pan, c’est ce chant du désir qu’on continue d’entendre au fil des pages de ce Carnet du Vermont. Très éloignée en apparence de l’horizon romantique et de la « merde symbolique » dont « Dame Nature » est l’occasion, la poésie de John Ashbery reconduit pourtant, sous une forme certes très neuve, le vieux thème immémorial et le pacte implicite dont il procède.
Il est frappant de ce point de vue de constater comment celui-ci peut refaire surface dans les dernières pages de l’ouvrage. Évoquant un voyage en Floride, l’auteur note en effet, à propos d’une visite à la Station d’écologie marine de l’île de Marco, que l’endroit offre « l’exemple même d’une nouvelle communauté respectueuse de l’environnement naturel. » Quasi documentaire, le style du récit de cette visite est parfaitement neutre, littéral, dépourvu de toute enflure métaphorique. Néanmoins, c’est bien quelque chose comme un écho du très ancien pacte pastoral du poète avec la Nature qui trouve encore, sous cette forme économe, « écologique » et en un sens prophétique (nous sommes en 1975 !), à se dire. n
J.-C. P.
John Ashbery & Joe Brainard, Le carnet du Vermont, traduction et postface d’Olivier Brossard, éditions Joca Seria, 142 pages, 16 €.